LES CARNETS DE GUERRE DE LOUIS BARTHAS, TONNELIER, 1914-1918.



Un siècle s'est écoulé depuis la der des der, ce calvaire sanglant. Cet acte, fondateur du 20ème siècle, hante toujours l'histoire. A l'heure où l'on se prépare à féter son centième anniversaire, je voulais parler de Louis Barthas, caporal tonnelier, dont le témoignage résonne encore aujourd'hui d'une étonnante modernité.

Frêres, pères, oncles, qui n'a pas eu sa famille décimée, comme un trou béant dans son arbre généalogique? Et que nous reste-t-il de la paroles de ces poilus, survivants du carnage? Parmi elles, la voix de Louis Barthas s'est faite entendre. Car nombre d'histoires restent. Certaines se racontent partout... Les charges à coups de pelles aiguisées... Mon père en a toujours entendu parler du coté de Chambery. Ses grand père, ses oncles, enfin, ceux qui avaient survécus... Tous anciens paysans, tous maniaient mieux la pelle que la baïonnette, formés depuis des millénaires à cet outil par la répétition des gestes. Selon eux, c'était plus pratique. Et puis cela compensait le mauvais équipement des soldats. "Il est maintenant de mode chez certains d'aller à l'assaut simplement avec des grenades et une pelle. La pelle bien aiguisée est une arme plus commode et beaucoup plus utile ; non seulement on peut la planter sous le menton de l'adversaire, mais surtout, on peut assener avec elle des coups très violents; spécialement si l'on frappe obliquement entre les épaules et le cou, on peut facilement trancher jusqu'à la poitrine. Souvent la baïonnette reste enfoncée dans la blessure; il faut d'abord peser fortement contre le ventre de l'ennemi pour la dégager et pendant ce temps on peut facilement soi même recevoir un mauvais coup. En outre il n'est pas rare qu'elle se brise."; A l'Ouest rien de nouveau, Eriq Maria Remarque.

Voilà ce qu'il reste en mémoire.

Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier sont un témoignage fondamental sur cette époque et permet de comprendre ce qu'était cette guerre au quotidien. Louis Barthas est un miraculé, survivant de quatre ans et demi au front en 1ère ligne de la Grande Guerre. Lors de sa publication en 1978, Le Nouvel Observateur relatait à propos de son livre : "Louis Barthas est un témoin privilégié : coup d'oeil impitoyable, oreilles aux aguets, et en garde fou, un humour plein d'ironie, décapant, tonique."

Longtemps passé sous silence, l'histoire de la Grande Guerre ressort enfin et le livre de Louis Barthas en est un témoignage précieux.

 





Louis Barthas est né le 14 juillet 1879 à Homps dans l'Aude. Lors de la déclaration de guerre en 1914, il a trente cinq ans, marié, père de deux garçons : Abel, huit ans et André, six ans. De famille très modeste, il est d'abord ouvrier agricole, puis tonnelier, possédant quelques lopins de vignes. Il se fixe ensuite à Peyriac-Minervois. Titulaire du certificat d'études primaires, il quitte l'école, malgré son classement de premier du canton et l'obtention du prix du conseil général. Il devient par la suite curieux de tout, soucieux d'apprendre, un lecteur avide et assidu de Victor Hugo, Emile Zola, Anatole france, Karl Marx et Jules Guesdes. Louis Barthas adhère bientôt au socialisme et au syndicalisme. A Peyrac-Minervois, il participe à la création du syndicat des ouvriers agricoles. Membre du Parti socialiste, il milite dans le Minervois aux côtés de son futur capitaine de 1914, Léon Hudelle, du docteur Ferroul de Narbonne, et de Jean Jaurès, député du Tarn.

-Le socialisme en 1914.

En 1914, le socialisme est partout présent dans le monde occidental et en Europe centrale. Il joue un rôle politique important. Ces progrès sont en relation étroite avec le développement de l’industrie et sont aussi liés à la démocratisation des institutions, notamment à l’acquisition du suffrage universel, de même qu’au développement de l’instruction primaire, voire de la laïcisation de l’État et de la vie publique. Le socialisme est d’abord un fait européen. Le mouvement syndical, généralement organisé parallèlement au socialisme, y joue un rôle de plus en plus important. Aussi le socialisme, est-il, en 1914, une des composantes de la vie politique de ces pays. D’une façon générale, sa puissance n’a fait que croître entre 1870 et 1914.

-Le syndicalisme.

Sous l’impulsion des militants du courant marxiste incarné par Jules Guesde (1845-1922), une Fédération nationale des syndicats est fondée en 1886, bientôt suivie par une Fédération des Bourses du Travail, constituée en 1892. D’un côté, une logique professionnelle par branches d’industries prévaut ; de l’autre, le travail interprofessionnel prime. Animée par Fernand Pelloutier (1867-1901), la FNB puise largement son inspiration dans l’anarchisme. En dépit des oppositions doctrinales et des rivalités organisationnelles, dans le contexte d’une IIIe République affairiste, colonisatrice, socialement répressive, l’aspiration unitaire dans le champ syndical s’affirme. FNS, FNB fusionnent en 1895 pour donner naissance à la Confédération Générale du Travail. Le vrai terme est celui de syndicalisme révolutionnaire qui rend mieux compte de la multiplicité des sources (anarchisme, proudhonisme, blanquisme, socialistes ouvriéristes , ect...). La Charte d’Amiens proclame trois options fondamentales, la lutte des classes, la double besogne du syndicalisme, l’indépendance de l’action syndicale qui aboutira à l’autogestion de la société. Le capitalisme est un système dont il ne suffit par de corriger les effets, mais dont il convient de détruire la logique déterminée par la propriété des moyens de production assurant l’accaparement de la plus-value. Les syndicats sont obligés d’accomplir deux tâches, améliorations quotidiennes du travail, et préparation à l’émancipation intégrale qui sera ouverte par la grève générale.

- Syndicat des ouvriers agricoles

Les premières organisations ouvrières agricoles datent d'avant la loi du 21 mars 1884, appelée loi Waldeck-Rousseau, qui reconnaissait le droit syndical. C'est à Paris que se constitua la première Chambre syndicale des ouvriers jardiniers de la Seine, le 12 août 1877 puis les bûcherons et ouvriers viticoles du Centre furent à l'origine de la création de la première Fédération nationale. Les premiers syndicats d'ouvriers agricoles du Midi se formèrent dans les régions côtières en 1890. En 1898, ces syndicats tentèrent de créer une fédération départementale, mais ce n'est qu'en 1900 qu'ils réussirent la création de la Fédération régionale des travailleurs agricoles des Pyrénées-Orientales (surement le syndicat de Louis barthas...). Au congrès d'unité de 1903 à Béziers fut décidée la constitution de la Fédération des ouvriers agricoles du Midi, et les fédérations existantes devinrent "section départementale". Cette Fédération vécut jusqu'à la guerre de 1914.

C'est dans ce contexte que Louis barthas s'éduque et fait ses armes de syndicaliste. De cet engagement fondateur, il développera sa vision radicalement humaniste, anticléricale et socialiste, rejettant tout patriotisme guerrier. Son passage par la grande guerre ne fera qu'ancrer plus profondément encore ses convictions. Comme disait Anatole France: " On croit mourir pour la Patrie et on meurt pour les industriels."; Dans ces cahiers, Louis Barthas écrit : "Je serai toujours fidèle à mes principes de socialiste, d'humanitaire, de vrai chrétien même...";. Catholique, mais non pratiquant, Louis Barthas devient anticlérical en raison de l'opposition de l'Eglise au syndicalisme et au socialisme. Son expérience de la guerre le conforte définitivement dans ce sentiment : "Au bout de la route, (...) c'était l'église, lieu de dévotion qui attirait tous les ans les fidèles à vingt kilomêtres à la ronde; ce qui les faisaient accourir, c'était tout simplement quelques débris d'ossements humains (...). Ces ossements étaient disait-on de St Jean Baptiste; j'aurais été curieux de savoir comment des bords du Jordain ils étaient venus s'échouer dans cette église du Pas-de-Calais, mais personne ne pu satisfaire ma curiosité."

C'est donc cet homme, socialiste, syndicaliste, pacifiste et anti militariste, qui resta mobilisé quatre ans et demi sur le front comme caporal, dans l'infanterie (et parfois comme simple soldat, après avoir été cassé de son grade en raison de ces engagements politiques) qui nous raconte sa guerre au quotidien, de l'infanterie, du point de vue des petits, des sans grades.



L'original du manuscrit de Louis Barthas se présente sous la forme de dix neuf cahiers d'écolier de quatre vingt à cent pages chacun, écrits à la plume. Ils sont abondamment illustrés de cartes postales envoyées du front à sa famille par l'auteur et de quelques autres cartes ou photos trouvées dans les tranchées allemandes après leurs occupations par l'infanterie française. Les 19 cahiers originaux sont conservés par le petit-fils de Louis, Georges Barthas, à Carcassonne et retrace chronologiquement les différents batailles auquelles il a participé: " 1er cahier. Vie de dépot. 2 Août-1er Novembre 1914. 2ème cahier. Vers la tuerie. 4 Novembre- 14 Décembre 1914... "; Et chaque chapitre est détaillé, quelques sous parties sont énumérées sommairement, indiquant précisémment le contexte: "départ de Mont Louis. Perpignan. Dernier Adieu. En route pour l'enfer du front."; Il s’agit de notes du temps de la guerre mises au propre après la guerre. Abel Barthas a vu son père les recopier sur des cahiers d’écolier. Il est important de souligner l’exactitude des dates, des lieux, des descriptions confirmée par les historiens. Ses camarades, et même ses chefs, savaient qu’il rédigeait l’histoire de leurs souffrances. Le talent de conteur et la capacité de réflexion du caporal tonnelier ont donné un grand livre alors que lui-même ne l’avait pas destiné à la publication, toutefois il l'avait écrit pour la postérité. Ce livre est devenu un classique depuis sa première édition en 1978 par la fédération audoise des oeuvres laiques.

Dans ces carnets de guerre, Il fait connaître les sentiments profonds que les poilus n’expriment pas souvent en dehors de la petite famille qu’est l’escouade, en particulier sur la hiérarchie. Sa vision humaniste et engagée est celle du combattant de première ligne, au quotidien, au ras du sol et de la boue. Son instruction et son parcours engagé, croyant fermement à l'union des travailleurs, lui permet un vrai recul sur sa condition de soldat et sur la guerre. Louis Barthas relate le mépris des gradés, leur méconnaissance et leur incompétence envers cette chair à canon. Son récit repose sur une observation précise et une grande curiosité. Par de simples détails quotidiens, la vie des tranchées est décrite d'un point de vue militant. A chaque arrivée dans une tranchées, les gradés cherchent la meilleure place pour se protéger des balles, du froid et de la pluie. Toute la hiérarchie s'affaire, du bunker pour " le capitaine-adjudant-major-flic"; comme il l'appelle (le meilleur), au poste de sentinelle (le pire), sans la moindre protection. Louis Barthas, comme tout bon poilus, a un vrai mépris de l'autorité acquise de fait, par le simple biais de la naissance: " Les Allemands émus nous remercièrent vivement et avant de disparaître derrière leurs sacs de terre, l'un d'eux une main dans l'autre s'écria: " Français, Allemands, soldats, tous camarades ; officiers, et il leva le poing serré, NON. " Ah! comme il avait raison cet allemand. Certes, il ne faut pas généraliser, mais combien d'officiers étaient plus séparés, plus éloignés moralement de nous que les pauvres diables d'allemands qu'on poussait malgré eux vers le même abattoir.";

 

 

 

" Maudit soit la guerre!"

De même, les fraternisations franco allemande sont décrites de l'intérieur, elles ont eu lieu toute la guerre et non, comme on a pu le dire, uniquement en 14-15. Il en donne une typologie intéressante et précise. La plainte contre les gradés, les embusqués, les bon bourgeois revient tel un leitmotiv tout au long du récit et entraine une solidarité entre soldats. Comme si, même après la guerre, cette oppression et cette rancoeur étaient toujours omniprésente : il relate à leur propos avec une émotion encore vive : " Leur stupéfaction se fût changée en ahurissement s'ils eussent vu sentinelles françaises et allemandes assises tranquillement sur le parapet en train de fumer la pipe et échanger de temps en temps un bout de conversations comme de bons voisins prenant le frais sur le pas de leur porte."; Il est au coeur des évènements et raconte uniquement ce qu'il a vu. C'est ce qui rend son témoignage passionant. Durant l'enfer de Verdun, il continue de raconter son histoire: " De relève en relève, on se transmettait les usages et coutumes de ces petits postes, les allemands de même et toute la Champagne pouvait s'embraser, il ne serait jamais tombé une grenade en ce point privilégié. (...) Quelques fois il y avait échanges de politesses, c'étaient des paquets de tabac de troupe de la Régie française qui allaient alimenter les grosses pipes allemandes ou bien des délicieuses cigarettes "made in Germany" qui tombaient dans le poste français. On se faisait également passer chargeurs, boutons, journaux, pains. Voilà une drôle d'affaires de commerces et d'intelligence avec l'ennemi qui ferait bondir l'indignation patriotes et super-patriotes depuis le royaliste Daudet jusqu'au fusilleur de Narbonne Clémenceau en passant par le caméléon Hervé. Affaire d'ailleurs d'appréciation. Les uns jugeront cela sublime et les autres criminels suivant qu'on place l'idéal d'Humanité au dessus ou au-dessous de l'idéal de patrie.";

Rappelons le, Louis Barthas écrit non pour être édité, mais pour la postérité. Il rajoute donc: " La génération future frappée de stupeur, déconcertée par cette folie sanguinaire universelle apprendra-t-elle par quelques plumes autorisées ces gestes de fraternités qui sont comme une protestation de révolte contre le sort fatal qui mettait face à face des hommes qui n'avaient aucunes raisons de se haïr."; Et de rajouter un peu plus loin: "qui sait ! peut-être sur ce coin de l’Artois on élèvera un monument pour commémorer cet élan de fraternité entre des hommes qui avaient l’horreur de la guerre et qu’on obligeait à s’entre tuer malgré leur volonté."; Louis Barthas disait qu’il n’apporterait son obole que si les monuments érigés après 1918 soient une vigoureuse protestation contre la guerre et ne soient pas une incitation pour les générations futures à suivre l’exemple des martyrs malgré eux. Plus tard, la liste de ces monuments est encore mince. Parmis les quelques exceptions : Gentioux dans la Creuse, " Maudit soit la guerre! " ou à Pontcharra sur Bréda (Isère) qui porte gravées, les dernières lignes de son livre.

" Paix ou Révolution! "

Ses pages sur les mutineries de 1917 sont confortées par les analyses les plus récentes des historiens. " Je n'ai pas la prétention de raconter ce qui se passa un peu partout en ce moment, je me borne à écrire ce que je sais en ce qui concerne notre régiment et la répression qui s'ensuivit.";. Il est touché de près, son bataillon prenant part aux mutineries, et relate donc les faits au quotidien. Comme partout sur le front, l'influence de la Révolution russe se fait sentir et échauffe les esprits. Dans ce contexte, Louis Barthas nous raconte une anecdote qui entrainera une série de brimades et de punitions pour son régiment.

Un soir, lors d'un repas arrosé, les hommes chantent et se divertissent. Jusqu'au moment où " un caporal chanta des paroles de révoltes contre la triste vie de la tranchée, de plaintes et d'adieu pour les êtres chers qu'on ne verrait peut être plus jamais, de colères contre les auteurs responsable de cette guerre infâme. Les soldats ont ensuite repris en coeur: " Paix ou Révolution! A bas la guerre! Permissions! "; On y a même chanté l'internationnale. Officiers et patrouilles sont alertés et se confrontent à une centaine de soldats révoltés. Pour calmer les esprits, les soldats décident la rédaction d'un manifeste avec dépot de réclamations par Louis Barthas à transmettre aux chefs de compagnies, et ce, malgré le risque du peloton d'éxécution. Ces réclamations concernent entre autres les permisssions. Les hommes finissent par chanter l'internationnale sous les yeux medusés de leurs officiers, l'administration dut céder et reprendre le rythme normal des permissions. Il y eu malgré tout, certains troubles avant le départ pour le front. Dans l'échauffement, les poilus ont même failli fusiller sommairement un général. Ils attaquèrent aussi un groupe d'officiers qui s'approchaient des casernes. Les autorités militaires décidèrent d'isoler les trois bataillons. Manifestations, cris, chants, le lendemain lors du départ aux tranchées. On finit par accompagner les soldats au combat encadré par la cavalerie " comme des forçats ";. Bagarres et altercations s'en suivirent. L'armée mis donc en place une discipline plus sévère: lettres ouvertes, conseils de guerre, compagnies de disciplines pour quiquonque approuve lesdites manifestations de révoltes. Par exemple : Défense absolue de chanter, déplacement toujours encadré, isolement des bataillons par peur de la contagion, terreur de petits chefs qui prouvent leur zèle par une discipline éreintante et humiliante. Finalement, le 296ème régiment à l'âme occitane est dissous puis dispersé dans les unités bretonnes, histoire de casser l'alliance du sud. Enfin, il est curieux de constater que le dépot de ce régiment se situe à Bézier où, en 1907, lors de manifestations et de troubles liés à la production viticole, le régiment se souleva par solidarité avec les paysans (" la révolte des gueux";) et affronta Clémenceau. Or Clémenceau venait de prendre plus de pouvoir encore en cette année 1917. Louis Barthas se pose la question : Les autorités militaires ont elles eu peur que d'anciens mutins du 17ème régiment ne donne de mauvaises idées aux poilus révoltés?

On retrouve d’ailleurs un clin à ce régiment à travers la bande dessinée Matthéo, de Jean-Pierre Gibrat, aux éditions Futuropolis. Matthéo s’engage volontairement dans la boucherie de 14, combat dans le 280ème régiment (faisant partie du 296ème), devient ensuite anarchiste et part en Russie s’engager dans la révolution bolchévique.



Louis barthas ne raconte que ce qu'il a vu. Dès le premier jour de la guerre, il tient ses carnets et ses camarades savent qu'il note l'histoire de leur calvaire. Il possède un vrai talent de conteur, caractérisé par l'absence d'effets, d'artifices littéraires et par une grande authenticité. Le plus remarquable dans son récit est l'humour utilisé comme arme contre le patriotisme et le "super"; nationalisme exacerbé. Parfois, Louis barthas craque et relate avec une ironie décapante certaines anecdotes lorsque, des années plus tard, il n'arrive toujours pas à comprendre les stratégies obscures et absurdes du commandement : "Les brutes qui commandaient cet assaut parurent enfin comprendre que n'ayant pas l'épiderme comme celui d'un hippopotame il nous était impossible d'avancer sous une grêle de balles. "; Ou encore, comme s'il ne lui restait plus que les métaphores animales pour exprimer un profond ressentiment : " Je conseillais sans ambage de fuir au plus vite, (...) l'on se mit en marche à la façon des limaces ; mais, Hélas ! Nos mères ne nous ont enseignés qu'à marcher sur les jambes, aussi je crois que nous mîmes une heure pour franchir les cent mêtres. (...) En prévision de la prochaine dernière guerre, on devrait dans les écoles exercer les gosses, tous les jours, à ramper sur le ventre, quelques jours et quelques nuits, cela pourra leur servir."; Ou encore " Si Borée, le dieu des vents n'était pas dans l'olympe hors des atteintes des autorités militaires bien sûr une instruction aurait été ouverte contre lui pour trahir ainsi la cause du Droit et de la civilisation. ";

Louis Barthas est un témoin précieux parce qu'il est un témoin ordinaire : simple caporal et simple tonnelier dans le civil. Selon lui, au dessus du grade de caporal, on n'a pas vraiment connu la vie des tranchées. Et même parmi les bons témoins et écrivains de l'époque, la plupart sont lieutenants, intellectuels et très souvent issue de la bourgeoisie. Sa vision de la guerre est celle du combattant de première ligne, au ras de la boue. En même temps il est capable de comprendre la nature de cette guerre de tranchées et d’artillerie. C'est tout l'intéret de ce témoignage d'un travailleur manuel, un temps caporal, vivant en permanence au milieu de son escouade: " L'escouade est une petite famille, un foyer d'affection où règnent entre ces membres de vifs sentiments de solidarité, de dévouement, d'intimité d'où l'officier est exclu ; devant eux le soldat ne se livre pas, se méfie, et un officier qui voudra tenter de décrire, comme moi cette vie étrange de la tranchée n'aura jamais connu, si ce n'est quelquefois par surprise, les vrais sentiments, le véritable esprit, le net langage de soldat, ni son ultime pensée. ";

 

 

Son antimilitarisme, son éducation militante, engagée et socialiste, sa croyance en l'union de tous les travailleurs et des soldats lui permette de bien comprendre les enjeux de cette guerre et particulièrement le climat ambiant de 1917. la guerre est d'ailleurs une bonne occasion pour certains d'appliquer leurs convictions politiques et de se débarrasser de syndicalistes ou de militants un peu trop virulents : " La guerre a du bon pour la bourgeoisie capitaliste!";

Enfin, pour avoir refuser d'exécuter des ordres qu'il estimait contre sa conscience, Louis Barthas fut cassé de son grade de caporal, voilà ce qu'il en raconte : " Il me tendit le papier et je lus : " Le caporal Barthas est cassé de son grade et passe à la 15ème compagnie. " Je respirai, ce n'était que cela ; J'arrachai mes galons que je jetais dans la boue ; je me sentais délivré d'un remord, libéré d'une chaine. En acceptant un grade si infime fut-il on détenait une parcelle d'autorité, de cette odieuse discipline et on était en quelque sorte, complice de tous les méfaits du militarisme exécré. Simple soldat je recouvrai mon indépendance, ma liberté de critiquer, de hair, de maudire, de condamner ce militarisme cause de cette ignoble tuerie mondiale."; Louis Barthas est un homme de conviction même en plein chaos. Tout au long du livre, à travers de petites anecdotes, il nous raconte sans relâche ces choix faits à hauteur de soldat engagé : " Homme de liaison à la cote 304, un jour d'attaque, n'était pas une sinécure; mais je m'offrit spontanément ; je ne me dissimulais pas les dangers que je courais, mais si je devais y rester je préférais cent fois mieux mourir un pli à la main qu'avec un fusil qui viendrait peut être de tuer un travailleur comme moi, un frère de misère, de souffrance ; non, je ne disparaîtrai pas avec ce remords sur ma conscience d'humanitaire, de socialiste.";



Le témoignage de Louis Barthas est exceptionnel grâce à son point de vue de travailleur, éduqué, pris dans la tourment de cette boucherie. Il incarne le poilu sans nom, le petit qu'on envoie à l'abattoir, le sans grade. Son éducation socialiste et syndicaliste lui permet d'avoir une vision acérée et critique de la guerre ainsi qu'une véritable compréhension des enjeux en cours. Enfin, son humour, son ironie décapante et sa qualité littéraire font de ce livre une témoignage d'une étonnante radicalité.

Pour finir , les derniers mots de Louis Barthas figurant sur le monument aux morts pacifiste sus mentionné de Pontcharra-sur-Bréda: " Souvent je pense à mes très nombreux camarades tombés à mes cotés. J'ai entendu leurs imprécations contre la guerre et ses auteurs, la révolte de tout leurs être contre leur funeste sort, contre leur assassinat. Et moi survivant, je crois être inspiré par leur volonté en luttant sans trêve ni merci jusqu'à mon dernier souffle pour l'idée de paix et de Fraternité humaine. Février 1919. ";

A bientôt cent ans passé, le combat continue contre les fantômes et les secrets de la grande guerre. Alors que j'écris ces lignes, la réponse de Jacques Tardy refusant la légion d'honneur, ramène sur le devant de la scène les vieux démons de cette ignoble tuerie mondiale : « Je n’ai cessé de brocarder les institutions. Le jour où l’on reconnaîtra les prisonniers de guerre, les fusillés pour l’exemple, ce sera peut-être autre chose. »

L'histoire de la der des der continue....*

 

Julie Besson - 10 avril 2013

 

 

 

 

Bibliographie:

-1914 - 1918, Nous étions des hommes, Jacques Moreau, édition La Martinière.

-La main coupée, Blaise Cendrars.

-Les Sentiers de la gloire, Stanley Kubrick.

- Johnny s'en va-t-en guerre, Donald Trumbo.

-C'était la guerre des tranchées, JacquesTardy.

- Site mémoires des hommes.